par Darya Kianpour/ RFI
Depuis plus de quarante ans, Claudine ne vit qu’au rythme des heurs et malheurs de son pays de cœur, l’Iran. «Ni Française ni Iranienne; et Française et Iranienne», elle est une exilée atypique.
Dans un centre culturel iranien à Paris, le 18 janvier 2014, une centaine de personnes sont réunies à l’occasion de la publication d’un livre consacré à Shojaeddin Shafa, homme de lettres et essayiste iranien, décédé à Paris, en 2010. Sa veuve, Claudine ouvre la cérémonie: «Nous sommes réunis ce soir à l’occasion de la sortie de l’ouvrage à la mémoire de mon époux, Shojaeddin Shafa (…) Ce soir, c’est également un hommage à la culture de l’Iran et à l’Histoire de cette civilisation vieille de plusieurs millénaires», déclare-t-elle dans un persan parfait.
Allure déterminée, voix douce, cheveux gris et courts soigneusement coiffés, des lunettes rondes qui habillent un regard tendre, Claudine n’est pas une exilée comme les autres. Elle se dit: «ni Française ni Iranienne; et Française et Iranienne!». D’ailleurs, elle dit avoir «honte» de parler de ses «malheurs» quand elle pense «à tous ces gens qui, pendant la révolution de 1979, ont perdu des êtres chers. Tous ceux qui ont été obligés de fuir le pays dans des conditions effroyables».
«Erasmus avant l’heure»
Claudine vient au monde un jour d’automne 1946, au Mans, en France. Elle y vit jusqu’en 1968 quand l’envie lui prend de quitter sa province, pour voir ce qui se passe ailleurs, «pour moi, c’était Erasmus avant l’heure», ironise-t-elle. Après quelques séjours à l’étranger, le hasard de la vie et son amitié avec une Iranienne la conduisent dans le pays de Cyrus le Grand. Elle arrive à Téhéran, «le jour où De Gaulle est enterré à Colombey-les-Deux-Églises; Mohamad Reza Shah était en France et moi en Iran», un souvenir qu’elle n’est pas prête d'oublier.
La jeune fille s’intègre très vite dans la société iranienne, elle apprend la langue et se familiarise avec l’histoire du pays, sa civilisation, sa culture et ses traditions. «J’ai découvert un Téhéran moderne où les gens étaient libres. C’était l’époque de la mini-jupe, là-bas aussi. Ma famille iranienne était exceptionnelle. Une vraie belle grande famille iranienne où se retrouvaient toutes les générations, avec une profusion d’amis. Je n’ai fréquenté que très épisodiquement la communauté française de Téhéran regroupée autour de l’ambassade essentiellement.»
A l’époque, l’Iran se prépare à célébrer les 2500 ans de la monarchie iranienne, et Claudine rencontre le conseiller culturel de l’ambassade de France. Dès décembre 1970, elle intègre la section française de la Bibliothèque Pahlavi. Shojaeddin Shafa, vice-ministre de la Cour chargé des Affaires culturelles, en est le directeur-général... Et voilà que commence la vie iranienne de Claudine.
Monsieur le vice-ministre est un quinquagénaire avec un passé riche. Auteur, polyglotte et surtout francophone et francophile, il a déjà traduit en persan, entre autres, des œuvres de Dante, Victor Hugo, Lamartine, Chateaubriand… Il est déjà promu officier de la Légion d’Honneur par le général de Gaulle (1963), décoré des insignes de Commandeur de l’ordre des Arts et Lettres par André Malraux (1961), des Palmes Académiques par Christian Foucher (1965).
La sympathie s’établit entre la jeune fille et son chef. La collaboration est passionnante, petit à petit l’amitié s’installe, peu à peu l’amour nait malgré une différence d’âge de près de trente ans: «Parce que c’était lui, parce que c’était moi. En dépit de tout, même de notre différence d’âge. Il était si cultivé et avait une curiosité insatiable. Il m’a tellement appris. Il m’a faite ce que je suis. Il était toujours dans l’action et cela me plaisait.»
Pour le meilleur et pour le pire
En 1978, Claudine est en France pour un court séjour. Son compagnon la rejoint. Le désordre s’empare de l’Iran. La famille royale quitte le pays, les révolutionnaires prennent le pouvoir. «La réalité s’est imposée, implacable, au fil des jours: l’Iran avait fait un bond en arrière vers un autre âge, un âge obscur.»
Le retour en Iran est impossible, l’exil commence. Claudine est excédée par la méconnaissance de ses compatriotes sur l’Iran, la position des médias et des politiques, l’attitude de l’administration. «Nous étions tous les deux, seuls, pour affronter le casse-tête des titres de séjour, les regards parfois malveillants, les brimades, les problèmes matériels, la propagande anti-Shah, la propagande islamique, les multiples déménagements (…) J’étais devenue exilée en mon propre pays à force de vivre au rythme de mon exilé de mari.»
Pas question de s’apitoyer sur son sort, le couple retrousse les manches. Le mari reprend ses recherches et son travail d’écriture pour «défendre l’Iran éternel». Claudine, elle, prend en main… la vie! Pour son compagnon, elle est tour à tour, conseillère, documentaliste. Elle est confidente, parfois psychologue. Elle se consacre aussi à la tâche ménagère de la maison: la cuisine, le ménage, les courses…
Comme la plupart des «apatrides», ils luttent pour survivre. Comme certains d’entre eux, ils ont aussi peur pour leur vie. Les assassinats d’opposants iraniens à l’intérieur comme à l’étranger inquiètent et constituent une vraie menace. Après celui de Shapour Bakhtiar en 1991, dans une banlieue parisienne, «on» conseille au couple de quitter la France. Il s’installe en Espagne pour quelques temps.
Le combat continue
Claudine sous le regard de feu son époux, Shojaeddine Shafa. Darya Kianpour/RFI
Le travail était le leitmotiv de toutes ces années d’ «exil»: «Nous ne prenions jamais de vacances. Nos voyages étaient toujours motivés par un projet. Les courts moments d’insouciance étaient des moments volés au travail. Mais des moments heureux.». Claudine n’oublie pas «des milliers d’heures passées ensemble dans les bibliothèques, en France, en Espagne, à lire, à sélectionner, à photocopier des articles». Presque tous les deux ans, un nouveau livre est publié sur l’histoire de l’Iran ou des essais sur la résistance intellectuelle ou littéraire des Iraniens, ou encore des études consacrées aux religions.
Trente-cinq ans après la révolution islamique et quatre ans après le décès de son époux, Claudine a encore plusieurs projets. Le prochain, c’est de faire paraître en français le fruit de leurs recherches dans la péninsule ibérique, un livre de 750 pages consacré aux apports scientifiques, artistiques et spirituels de la Perse à la culture espagnole. De la Perse à l’Espagne musulmane : l’histoire retrouvée est déjà publié en espagnol et traduit en persan. Elle a aussi un rêve: retourner en Iran, revoir une autre fois «son pays de cœur» et y ramener les cendres de son mari, car «il appartient aux Iraniens et il doit reposer dans son pays».
Claudine est donc une exilée, mais forcément pas comme les autres. «Sans être présomptueuse, je crois pouvoir dire que j’ai beaucoup donné pour l’Iran. Je ne sais pas si je suis Iranienne ou Française. Je suis Iranienne de cœur, c’est certain. Je me sens concernée par tout ce qui touche de près ou de loin à ce pays et à son avenir. Je guette tous les frémissements de la société iranienne. Je peux m’enthousiasmer ou me quereller quand on parle de l’Iran.»
Dans son petit appartement, aucune décoration n’évoque une vie parisienne: il est rempli d’objets, de livres et de documents sur… l’Iran. Sans oublier la photo du «Maître» qui accrochée au mur, veille sur sa bien-aimée et lui donne la force de continuer le combat pour lui, pour elle, «pour l’Iran éternel».
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